51.

— POUSSEZ-VOUS ! Laissez-moi passer, espèces de fumiers ! hurla Carroll à trois jeunes hommes qui se trouvaient en travers de son chemin.

Les malfrats irlandais massés dans le hall d’entrée faiblement éclairé, entre lui et l’escalier de l’immeuble, ne bougèrent pas d’un pouce. Sinon pour lui montrer leurs battes de football gaélique.

— Pourquoi tu nous déloges pas toi-même ? Viens. Fais-nous partir. Essaye donc.

L’émetteur de pistage trillait désespérément – vibrait, plus exactement – dans sa main gauche. Caitlin devait être à l’étage. Elle était dans ce bâtiment.

Des sirènes de voitures de police et des forces d’intervention militaires beuglaient alentour. Des tirs de snipers pleuvaient toujours sur Falls Road. Bouge ! Maintenant ! Bouge !

Carroll tira une fois dans le plafond de bois, entre les trois jeunes gens surpris. Ils s’écartèrent aussitôt.

Carroll emprunta un escalier tortueux et plongé dans l’obscurité, gravissant deux ou trois marches à la fois. Non, je vous en supplie, mon Dieu !

Il luttait contre la rage et une peur plus terrible encore qui enflait en lui. L’immeuble pullulait de civils. Des portes d’appartement ne cessaient de s’ouvrir et de se refermer. Carroll sentait les courants d’air sur son visage. Il s’attira des regards hostiles et des insultes.

Lorsqu’il atteignit enfin le dernier palier, au troisième étage, il vit grande ouverte, la porte jaune et miteuse d’un appartement.

Ses pensées se figèrent et il eut l’impression que son cerveau échauffé était sur le point d’exploser. Il sut soudain ce qu’il allait trouver à l’intérieur de cet appartement.

Il distinguait déjà l’autre côté de la porte. C’est alors qu’il l’aperçut, allongée sur le sol, toujours vêtue de son manteau, son cache nez rayé nonchalamment repoussé sur le côté. Elle était étendue contre une chaise en bois renversée, sur laquelle elle avait de toute évidence subi un interrogatoire.

Il n’y avait pas la moindre trace des hommes de main de l’IRA, qui s’étaient échappés par le toit. Envolés, disparus.

— Oh ! mon Dieu, non, gémit Carroll, qui réprima un sanglot, une prière désespérée.

Il se voyait à nouveau confronté à ce vide effroyable et à ce tourment sans fin provoqués par la mort d’un être cher. Il éprouvait une souffrance terrible et infinie.

Caitlin roula alors lentement sur elle-même. Elle bougea, de seulement quelques centimètres. Puis elle entreprit laborieusement de s’asseoir et Carroll se précipita vers elle… Le visage de la jeune femme était sans expression, hébété… Mais elle était vivante.

Il la prit dans ses bras. Il la tint délicatement, comme une enfant blessée.

Caitlin détacha subitement les yeux des siens et fixa quelque chose, à l’autre bout de la salle.

Carroll suivit son regard et découvrit une forme inerte. Le corps semblait être celui d’un jeune homme, mais il était impossible d’en être certain : il lui manquait la moitié de la tête. Ses cheveux sombres étaient collés par le sang. Carroll reconnut l’uniforme bleu foncé des policiers de Belfast.

— Qui est-ce ? demanda-t-il.

Caitlin secoua lentement la tête.

— Je l’ignore. Tout ce que je sais, c’est que s’il n’avait pas débarqué ici, je serais morte, à l’heure qu’il est. Il est entré par cette porte et il a commencé à leur tirer dessus…

Carroll ne parvenait pas à détacher son regard du policier abattu. Voilà un héros, pensa-t-il. Un héros sans nom et désormais sans visage. L’incarnation du métier de policier dans toute sa splendeur.

Caitlin sanglotait, presque sans bruit.

— Chut, chut. Tout va bien, lui murmura Carroll.

Ses sanglots devinrent incontrôlables. S’accrochant à Carroll avec ce qui lui restait de force, elle pleura contre son torse.

Ils étaient ainsi, enlacés, quand les équipes des renseignements généraux britanniques et de la police irlandaise firent irruption dans l’appartement.

Une fois de plus, Green Band leur avait fait faux bond.

Vendredi Noir
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